Ainsi que nous l’avons déjà souligné, l’unification des opposés à un niveau supérieur
n’est pas une affaire rationnelle ni davantage une question de volonté,
mais un processus psychique de développement qui s’exprime dans des symboles.
Historiquement, il a toujours été représenté par des symboles
et aujourd’hui encore il est illustré par des figures symboliques
dans le développement individuel de la personnalité.
Ce fait m’a été révélé par les expériences suivantes :
les productions spontanées de l’imagination dont nous avons parlé plus haut
s’approfondissent et se concentrent progressivement en structures abstraites
qui représentent apparemment des "principes", de véritables archaï gnostiques.
(...)
Si les imaginations se traduisent sous forme de dessins,
on voit naître des symboles qui appartiennent surtout au type dit "mandala".
Mandala signifie cercle, et spécialement cercle magique.
Les mandalas ne sont pas seulement répandus à travers tout l’Orient,
mais ils sont en outre abondamment représentés chez nous dans des œuvres médiévales.
… La plupart représentent le Christ au centre
avec les quatre évangélistes ou leurs symboles aux points cardinaux. (...)
(...) On rencontre la plupart du temps une forme de fleur, de croix ou de roue
avec une prédilection marquée pour le nombre quatre
(qui rappelle la tétraktys pythagoricienne, le nombre fondamental).
De tels mandalas se trouvent également dans les dessins de sable
réalisés à des fins religieuses chez les Pueblos.
Mais c’est naturellement l’Orient qui possède les plus beaux mandalas,
en particulier dans le bouddhisme tibétain.
J’ai également rencontré des dessins en forme de mandala chez des malades mentaux,
et cela chez des gens qui n’ont sûrement pas la moindre idée de telles connexions.
J’ai observé chez mes patients des femmes qui ne dessinaient pas les mandalas,
mais les dansaient.
L’Inde possède un terme pour cela : mandala nritya, danse du mandala.
Les figures de la danse traduisent le même sens que les dessins.
Les patients eux-mêmes ne peuvent pas dire grand-chose
de la signification des symboles en forme de mandala qu’ils produisent.
Ils sont simplement fascinés par eux et les trouvent expressifs et opérants
dans un rapport quelconque avec leur état psychique subjectif.
Notre texte promet de « révéler le mystère de la fleur d’or du grand Un ».
La fleur d’or est la lumière, et la lumière du ciel est le Tao.
La fleur d’or est un mandala que j’ai souvent rencontré chez mes patients.
Tantôt elle est représentée vue d’en haut, donc comme un ornement régulier,
tantôt elle est vue latéralement, comme une fleur poussant sur une plante.
La plante est la plupart du temps une structure aux couleurs lumineuses, ignées,
croissant à partir d’une obscurité située au-dessous d’elle
et portant des fleurs de lumière à son sommet.
(Il y a là un symbole analogue à l’arbre de Noël.)
Un tel symbole exprime en même temps la naissance de la fleur d’Or,
car, selon le Houei Ming King, "la bulle germinale" n’est autre que le "château doré",
le "cœur céleste", la "terrasse de vie", le "champ d’un pouce carré de la maison d’un pied carré",
la "salle pourpre de la cité de jade", le "sombre passage", l’ "espace du ciel antérieur"
(Le "ciel antérieur" - à la création du monde - est le siège d’un ordre archétypique
qui se distingue de l’ordre manifesté ou "ordre postérieur " .. Yi King),
le "château du dragon au fond de la mer".
On l’appelle encore la "région frontière des montagnes neigeuses",
le "passage primordial", le "royaume de la joie suprême", le "pays sans frontières",
et l' "autel sur lequel sont produits la conscience et la vie".
« Si un mourant ne connaît pas cette place germinale, dit le Houei Ming King,
il ne trouvera pas l’unité de la conscience et de la vie
dans mille naissances et dix mille ères. »
(...)
Je connais toute une série de mandalas européens dessinés
où quelque chose comme une graine de plante entourée de ses enveloppes flotte dans l’eau ;
le feu, montant de la profondeur, la pénètre, provoque la croissance
et donne ainsi naissance à une grande fleur d’or qui sort de la bulle germinale.
Ce symbolisme a trait à une espèce de processus alchimique de raffinage et d’ennoblissement : l’obscur enfante le lumineux, l’or noble croît à partir du « plomb de la région des eaux », l’inconscient devient conscient sous la forme d’un processus de vie et de croissance.
(On trouve quelque chose de tout à fait analogue dans le yoga de la kundalini.)
Ainsi naît l’unification de la conscience et de la vie.
Lorsque mes patients produisent de telles images,
il est évident que cela ne provient pas d’une suggestion,
car elles furent créées bien avant que j’aie connu leur signification
ou leur relation avec les pratiques de l’Orient qui m’étaient alors totalement étrangères.
Elles naissaient d’une façon toute spontanée et d’une double source :
la première de ces sources est l’inconscient qui engendre spontanément de tels phantasmes ;
la seconde est la vie qui, lorsqu’elle est vécue dans une attitude de complet don de l’être,
procure le pressentiment du Soi, de la nature individuelle.
La perception de cette dernière réalité est exprimée dans le dessin,
tandis que l’inconscient oblige l’individu à se donner totalement à la vie.
En effet le mandala n’est pas seulement expressif mais également opérant,
d’une manière qui s’accorde pleinement avec la conception chinoise.
Il réagit sur son auteur.
Il renferme une vertu magique immémoriale,
car il provient à l’origine du « cercle protecteur», du « cercle enchanté »
dont la magie s’est conservée dans d’innombrables coutumes populaires.
L’image a pour but affirmé de tracer un sulcus primigenius,
un sillon magique autour du centre, du temple
ou du temenos (enceinte sacrée) de la personnalité intime,
afin d’empêcher les « fuites » ou de préserver de façon apotropéique
des déviations causées par l’extérieur.
Les contenus magiques ne sont pas autre chose
que des projections d’événements psychiques
qui sont ici appliquées inversement à l’âme
comme une sorte d’incantation opérée sur la personnalité ;
en d’autres termes, des actions concrètes favorisent et permettent
le retour de l’attention, ou mieux de la participation
à un cercle sacré intérieur
qui est l’origine et le terme de l’âme
et contient cette unité de la vie et de la conscience autrefois possédée,
puis perdue et qu’il faut retrouver.
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C-G Jung
"Commentaire sur le Mystère de la fleur d'or"
Texte complet ici
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Si tu veux parfaire le corps de diamant sans fuite,
Réchauffe avec soin la racine de la conscience et de la vie.
Illumine le pays bienheureux qui est toujours proche
Et fais-y habiter toujours, caché, ton véritable moi.
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Houei Ming King
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