Après la séparation d'avec Freud avait commencé pour moi une période d'incertitude intérieure, plus que cela encore, de désorientation.
Je me sentais flottant, comme totalement en suspens car je n'avais pas encore trouvé ma propre position.
(...)
Les rêves que je faisais m'impressionnaient beaucoup mais ne parvenaient pas à m'aider à surmonter le sentiment de désorientation qui m'habitait. (...)
Je me dis alors : " J'ignore tout à un tel degré que je vais simplement faire ce qui me vient à l'esprit. ".
Je m'abandonnai de la sorte consciemment aux impulsions de l'inconscient.
Dans cet état d'esprit, la première chose qui se produisit fut l'émergence d'un souvenir d'enfance datant de ma dixième ou onzième année. A cette époque de ma vie, j'avais joué passionnément avec des jeux de construction.
Je me souvins clairement comme j'édifiais des petites maisons et des châteaux [...]
A ma grande surprise, ce souvenir émergea accompagné d'une certaine émotion.
" Ah, ah ! me dis-je, là il y a de la vie ! le petit garçon est encore dans les environs et possède une vie créatrice qui me manque. Mais comment puis-je parvenir jusqu'à elle ? " [...]
Ce moment fut un tournant de mon destin. Je ne m'abandonnai finalement à la plongée qu'après des répulsions infinies et non sans éprouver un sentiment d'extrême résignation. Ceci n'alla pas sans susciter l'expérience douloureuse de l'humiliation de ne pouvoir réellement rien faire d'autre que de jouer.
C'est ainsi que je me mis à collectionner les pierres dont j'avais besoin en les ramassant sur le bord du lac soit dans l'eau ; puis je me mis à construire de petites maisons, un château, tout un village. [...]
Chaque jour, après le déjeuner, quand le temps le permettait, je m'adonnais aux constructions. A peine la dernière bouchée avalée, je " jouais " jusqu'à l'arrivée des malades ; et le soir, si mon travail avait cessé suffisamment tôt, je me remettais aux constructions.
Ce faisant, mes pensées se clarifiaient et je pouvais saisir, appréhender de façon plus précise des imaginations dont je n'avais jusque-là en moi qu'un pressentiment très vague.
C.G. Jung, "Ma vie"
Confrontation avec l'inconscient