Il est bien loin le temps où Nout, la "Mère divine", la "Dame du ciel", la "Voûte étoilée" trônait dans les cieux...Il est loin le temps où elle représentait la source de tout ce qui existe...le temps où elle était invoquée comme la "grande protectrice"...
Elle ne "domine" plus Geb, couché sur le sol...la situation s'est totalement inversée !
Dans les cieux, il n'y a plus que des dieux mâles...et des "pères célestes"...
Le souvenir qu'il ait pu exister des "déesses" et des "déesses-mères" s'est estompé... on ne les voit plus guère que comme des "histoires" mythologiques, des histoires d'un temps révolu...
Les grands monothéismes sont des religions entièrement patriarcales.
Depuis très longtemps, c'est l'Archétype Masculin qui "brille au firmament", c'est lui qui "domine". Le Féminin, lui, a été abaissé.
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Dans le rêve, la position des "femmes-mottes" est d'ailleurs éloquente : elles sont courbées, "face contre terre"...on ne voit que leur dos. L'image est très forte.
Qu'est-ce que cette "posture" peut bien évoquer ?
image ici
- d'abord, une attitude de "protection" : elles "font le dos rond", elles sont dans la position de la "tortue" quand elle rentre tête et membres...pour se protéger de l'extérieur. C'est une position recroquevillée, fermée. C'est une attitude de peur.
- et puis, c'est une position dans laquelle le visage est "caché"...c'est une position dans laquelle on ne peut distinguer l'individualité de chacune...elles sont comme un "grand troupeau", comme une foule anonyme et indistincte...domestiquée. C'est une position dévalorisante, non humanisée, presque animale.
- il s'agit enfin d'une position de soumission : elles s'écrasent, elles s'abaissent, elles s'aplatissent...C'est la position d'une personne abattue, découragée et même humiliée (rappelons que ce mot dérive de "humus" , la terre : être humilié, c'est, au sens premier, "être jeté à terre").
On peut y voir aussi la position de quelqu'un qui se "prosterne" devant un Dieu ou un personnage d'autorité. C'est la position d'une femme soumise (à la religion patriarcale, à son mari, au pouvoir masculin).
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La blessure au dos vient en confirmation de cette position d'infériorité et de dévalorisation.
Le dos, c'est dans le corps humain, la partie qu'on ne peut pas voir soi-même, c'est la partie "cachée", c'est l'"envers"... Le dos représente donc l'invisible, l'inconscient.
Il y a donc une blessure du Féminin (*) et cette blessure est inconsciente. Elle n'est pas "reconnue", elle est une souffrance sur laquelle on ne "met pas de nom"...la situation étant considérée comme "habituelle", "normale".
En fait, la blessure est A LA FOIS une blessure personnelle (chaque femme en souffre personnellement, à sa façon) et une blessure collective (c'est l'archétype Féminin qui est en cause).
J'ai bien réfléchi et je ne crois pas être beaucoup plus "blessée" que les autres...à première vue, je n'ai pas le profil de la femme "soumise" : j'ai fait des études, j'ai toujours travaillé, je suis d'un caractère très indépendant, j'ai pris mes distances avec la religion et mon mari est quelqu'un de très respectueux.(**)
Mais je crois que oui, c'est sûr, je porte quand même en moi cette "blessure du Féminin"...transmise par ma culture et par ma famille...je la porte dans ma chair, dans mon inconscient...comme une épine...parce qu'elle est présente depuis des générations et des générations...
Sculpture de Rodin
Depuis des générations, le Féminin et les valeurs féminines doivent en effet "s'écraser" devant les valeurs masculines. Depuis des générations, le Féminin est dévalorisé. Il n'est plus vu comme "sacré" mais il est rabaissé, ramené au concret, au banal, au "terre-à-terre"...
On le tolère mais on ne le vénère plus. On l'utilise mais on ne le respecte pas.
Et cette attitude se retrouve, trait pour trait, dans l'attitude de notre civilisation vis-à-vis de la terre (et de la Terre aussi, évidemment).
Comment appelle-t-on les entreprises agricoles ? Des "exploitations" !
Voilà, tout est dit : la terre est là pour être "exploitée" !
On l'exploite, on la "soumet", on la saccage...On lui fait "donner" le maximum...et pour cela, tous les moyens sont bons. On veut du rendement, du chiffre, du résultat. On lui "extorque" violemment ce qu'elle donnerait volontiers d'elle-même, si les rapports étaient plus "respectueux"...
On ne la considère pas comme une "mère généreuse" qu'on doit aimer et respecter mais comme un "grand réservoir", qui est à notre disposition, qu'on peut piller selon nos besoins. Elle est soumise, "à notre service". Elle est matière inerte, sans visage.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le sort qu'on réserve au Féminin en nous et le sort qu'on réserve à la Terre, à la Nature sont exactement les mêmes, puisque tous deux relèvent du même archétype. Ce qui est à l'intérieur se concrétise, se manifeste à l'extérieur. (**)
Et aujourd'hui, Féminin et Nature sont "en mauvaise posture" !
Tous deux sont blessés, abîmés, souffrants...
Mis à mal par une société qui a basculé dans une hypertrophie du Masculin.
Clarissa Pinkola Estes, conteuse et psychanalyste jungienne, auteur de "Femmes qui courent avec les loups" est une de celles qui, à mon avis, a le mieux compris et décrit ce rapport "Femme et Nature".
"L'essence sauvage qui vit dans la Nature", dit-elle, "a reçu quantité de noms mais elle est toujours Mère, elle est la conservatrice de la Tradition Féminine."
Pour cet auteur, ce n'est pas un hasard si les étendues sauvages de notre planète ont disparu en même temps que notre compréhension de notre nature profonde s'est amoindrie.
Son constat: "La Vie sauvage et la Femme sauvage sont toutes deux des espèces en danger.
Au fil du temps, nous avons vu la nature instinctive féminine saccagée...On l'a malmenée, au même titre que la faune, la flore et les terres sauvages.
Cela fait des milliers d'années que, sitôt que nous avons le dos tourné, on la relègue aux terres les plus arides de la psyché..."
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La Licorne
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(*) Cette blessure évoque aussi directement le sexe féminin, qui peut être vu comme une "entaille qui saigne" (chaque mois).
(**) Il est évident bien sûr, que ce rêve renvoie aussi à une blessure personnelle inconsciente, mais, par pudeur, je n'en parlerai pas ici.
(***) C'est bien le Féminin (et non seulement la femme) qui subit ce sort, le Féminin qui existe en chacun de nous. Le "Féminin blessé" et sa souffrance existent donc aussi chez l'être masculin, en chaque homme. C'est alors son anima qui est souffrante.